Professeur David Khayat, l’un des plus éminents cancérologues français dénonce le procès fait au vin. Santé !
Propos recueillis par Thomas Bravo-Maza, pour la Revue des Vins de France de mai 2010.
La revue des vins de France : Des études
internationales révèlent qu’une consommation modérée de vin est
bénéfique pour la santé. Mais en France, l’Institut national de cancer
(INCa) soutient que le vin est cancérigène dès le premier verre. Alors
qui croire ?
D. K. : Il faut être très clair. En France, les
conclusions de l’INCa s’appuient sur les études du World Cancer Research
Found (VCRF). A mon tour, j’ai personnellement repris les études
internationales du WCRF. Ses vingt et un experts mondiaux réunis aux
Etats-Unis ont conclu que sur les vingt-quatre études menées sur les
risques de cancers des consommateurs de vin, dix n’étaient pas
recevables. Sur les quatorze études jugées valables, neuf concluaient
que les buveurs excessifs risquent davantage de développer un cancer de
la bouche que les buveurs modérés, cinq affirmaient l’inverse. Au final,
la somme de ces études prouve que lorsqu’on est buveur excessif, on a
un risque relatif multiplié par 1,02 de développer un cancer de la bouche par rapport à un buveur modéré.
La RVF : Si je comprends bien, les buveurs
excessifs n’ont que 2 % de risques supplémentaires de développer un
cancer de la bouche par rapport aux buveurs modérés ?
D. K. : Absolument. Je remarque aussi qu’aucune étude
n’a encore comparé les risques relatifs entre un buveur modéré et un
non buveur. C’est cette recherche-là qu’il aurait fallu mener.
La RVF : 2 %, c’est relativement peu. Ce chiffre tient-il compte des marges d’erreur possibles ?
D.K. : Non, et c’est bien le problème ! Dans un pareil cas, l’écart est marginal. Il faut être prudent avant de
tirer des conclusions. En outre, fin 2006, une découverte médicale
majeure a été faite – confirmée depuis par dix autres études. Elle
montre qu’une large part des cancers de la bouche est en réalité due à
un papillomavirus, l’HPV. Or, avant 2006, aucune étude ne pouvait avoir
tenu compte de l’impact décisif de l’HPV. En conséquence, il convient de
mettre à la poubelle toutes les études anciennes et d’en mener de nouvelles…
La RVF : Vous évoquez la relation du vin et du cancer de la bouche. Et les autres cancers (foie, sein, côlon…) ?
D. K. : La situation est à peu près la même pour les cancers du
côlon, du sein ou même du foie, où seul l’excès d’alcool – au-delà de 30
grammes d’éthanol par jour – entraînerait une augmentation par ailleurs faible (1 à 6 % du risque). Soit une limite de deux verres par jour pour les femmes, et trois pour les hommes.
La RVF : mais en France, l’INCa continue pourtant de dénoncer
les dangers du vin sur la foi d’un rapport du World Cancer Research
Found de 2007. Pourquoi ?
D. K. : Cette position de l’INCa s’appuie sur une
monstrueuse erreur de traduction aux conséquences très lourdes. Page 162
du rapport (la RVF a pu s’en procurer une copie), concernant le lien entre cancers de la bouche et alcool, les experts concluent par la phrase « No threshold was identified », que l’on doit traduire en français par « aucun seuil n’a été identifié ». Or, l’INCa l’a traduite par « il n’y a pas de seuil ».
Et s’il n’y a pas de seuil, le vin est effectivement cancérigène dès le
premier verre. Mais ce n’est pas ce que disent les conclusions des
experts du WCRF.
La RVF : L’affaire, dites-vous ne s’arrête pas là…
D. K. : Non, car
le Haut-Conseil de la santé publique (HCSP) a examiné, à la demande de
la ministre et de la Direction générale de la santé, s’il y avait lieu
de modifier les recommandations sanitaires actuelles
en matière de consommation d’alcool. Il est très intéressant de
remarquer que le HCSP a publié un communiqué officiel le 1er juillet
2009 pour annoncer que l’Institut national du cancer s’était trompé. Que dit en outre, cet avis officiel ? Qu’il convient de conserver le principe actuel
de recommandations fondées sur des repères de consommation. En clair,
que l’on peut consommer du vin modérément sans risque pour sa santé,
dans le droit fil des recommandations de l’Organisation mondiale de la
santé (OMS) qui, en 1980, préconisait de ne pas boire plus de trois
verres de vin par jour pour un homme et deux verres pour une femme. Je
remarque aussi que tabac et alcool sont trop fréquemment mis dans le
même panier. Or, contrairement au tabac qui est cancérigène, ce n’est
pas le vin qui est cancérigène, mais l’excès de sa consommation.
La RVF : Le rapport incriminé, « Alcool et
risque de cancer », et la brochure « Nutrition et prévention des
cancers » sont pourtant encore consultables sur le site internet de
l’INCa. N’est-ce pas anormal ?
D. K. : Oui, je trouve cela choquant. Il faut arrêter de dire et de
lire que le vin est cancérigène dès le premier verre, c’est complètement
faux.
La RVF : Que sait-on exactement des bénéfices
du vin sur la santé ? L’étude « Canceralcool » établit un distinguo
très net entre vin et alcools forts, et prête à la consommation modérée
de vin des effets bénéfiques sur la santé.
D. K. : Je n’ai pas eu connaissance de cette étude,
mais je peux dire que toutes les études mondiales ont toujours montré,
depuis les travaux de Serge Renaud en 1992, que la consommation modérée
de vin est bénéfique pour la santé. Même si, il faut bien le
reconnaître, nous ne savons pas encore parfaitement pourquoi car le vin
est un produit très complexe. Ce que l’on sait de manière irréfutable,
en revanche, c’est que le resveratrol contenu dans la peau du raisin est
très protecteur pour notre organisme. C’est un anti-oxydant qui
ralentit la dégradation des parois vasculaires due à l’excès de
cholestérol, un protecteur cardiovasculaire. Cet élément a son
importance lorsque l’on sait que 33 % de la mortalité en France est
imputable aux maladies cardiovasculaires.
La RVF : Votre dernier ouvrage, le Vrai Régime anti-cancer, traite également des rapports entre la nutrition en général et les cancers. Pour rester en bonne santé, que faut-il manger ?
D. K. : Il faut comprendre qu’une bonne partie de nos
cancers est liée à la façon dont nous nous alimentons. C’est le fond de
ce livre co-écrit avec la nutritionniste Nathalie Hutter-Lardeau*. Pour
aller vite, je dirais que l’excès de poids est mauvais, car les
cellules graisseuses, les adipocytes, fonctionnent comme de véritables
pompes à hormones qui stimulent la croissance des cellules cancéreuses.
Il faut donc tâcher de garder un indice de masse corporelle correct
(c’est le poids en kg divisé par le carré du tour de taille exprimé en
mètre, ndlr), autour de 25. Faut-il ne pas manger de viande ni de
charcuterie ? Une chose est sûre, certaines études dont on parle
beaucoup en France et qui pointent le lien entre consommation de viande,
charcuterie et cancer sont américaines et ne sont pas transférables de
la même façon dans notre pays.
La RVF : Et pourquoi donc ?
D. K. : Pour une raison simple : l’alimentation n’est
pas la même dans nos deux pays. Les études d’outre-Atlantique avancent
qu’aux Etats-Unis, le risque de cancer colorectal est augmenté de 29 %
par la consommation de 100 grammes de viande par semaine et de 21 % par
la consommation hebdomadaire de 50 grammes de charcuterie. Si l’on
appliquait ces chiffres à un français qui consommerait quatre steaks et
deux sandwiches au jambon par semaine, il aurait un risque augmenté de
332 % d’avoir un cancer du côlon ! Dans ce cas, tout le monde dans notre
pays devrait avoir un cancer du côlon ! Or, on ne constate pas cela en
France. Pourquoi ? Ces différences s’expliquent par le terroir et les
modes de production. Lorsque nous faisons analyser le gras d’une viande
américaine, 100 grammes de filet de bœuf contiennent 280 calories,
contre 150 en France. De plus, en analysant la nature des acides gras,
nous remarquons qu’ils sont totalement différents au Etats-Unis et en
France. De même, le jambon n’est pas identique en France et aux
Etats-Unis, où la quantité de vrai porc de qualité est bien moindre que
chez nous et bien plus additionnée en éléments chimiques néfastes
(conservateurs, exhausteurs de goûts, colorants, arômes). En clair, nos
produits fabriqués avec raison par une agriculture raisonnable ; dès
lors qu’ils sont consommés de façon équilibrés, ne peuvent pas nuire à
notre santé.
La RVF : Mais alors, pourquoi aller si
souvent chercher ailleurs, par exemple aux Etats-Unis, des réponses à
nos questions alors que les modes de production et de consommation sont
souvent très différentes ?
D. K. : En France, la médecine valorise l’acte
curateur et pas assez la prévention. Chez nous, un bon médecin est celui
qui guérit une maladie ; dans d’autres pays, c’est celui qui évite
cette maladie. A méditer. Cela dit, pour avoir mis en lace le premier
plan cancer, je suis heureux que, pour la première fois, de très
importants crédits aient été débloqués pour développer enfin la
recherche à grande échelle.
La RVF : Quelle valeur accordez-vous au vin ?
D. K. : N’oublions pas que le vin a permis à l’homme
d’exister. Il a accompagné le développement humain. Pendant très
longtemps, les gens n’avaient pas accès à l’eau potable. Grâce au vin,
l’homme a pu accomplir un pas décisif pour améliorer son espérance de
vie. La bonne santé des parents a fait chuter la mortalité infantile. Je
remarque enfin que plus les sociétés se sont complexifiées, plus la
culture du vin s’est développée. Le vin est à la fois cause et signe de
civilisation.
La RVF : Avez-vous toujours été un grand amateur de vin ? Comment avez-vous découvert le plaisir du vin ?
D. K. : Pendant longtemps, je ne me suis pas du tout
intéressé au vin. Mais il se trouve que j’ai soigné une figure du
vignoble bourguignon, Jean Sangoy, le propriétaire du grand restaurant Les millésimes,
à Gevrey-Chambertin. Nous sommes devenus de vrais amis. Après son
décès, j’ai fait étape sur le chemin de mes vacances à
Gevrey-Chambertin, nous étions en 1986 ou 1987. A table, Denis, le fils
aîné de Jean Sangoy, m’apporte la très épaisse carte des vins à laquelle
je ne prête alors pas attention, puisque je commande une bouteille
d’eau. Au bord des larmes, il m’enjoint de choisir une bouteille. Je
choisis une demi-bouteille de Bourgogne rouge. Denis reviendra de la
cave avec un vin de 1934, l’année de naissance de l’épouse de son père.
C’était un Clos des Lambrays. Un choc, un coup de foudre qui va changer
ma vie.
* le vrai Régime anti-cancer , mai 2010, Editions Odile Jacob.